Frédéric Ménétrey Directeur d’Agri Fribourg frederic.menetrey@agrifribourg.ch
13 juin 2025 à 08:46, mis à jour à 08:47
Il est choquant et inimaginable d’apprendre, en juin 2025, les dernières conditions d’achat imposées aux maraîchers par un grand distributeur, avec une nouvelle taxe pouvant coûter des millions aux producteurs. Comme si jamais rien n’avait été discuté, commenté et médiatisé ces derniers mois et dernières années au sujet des prix rémunérateurs à atteindre, hop, on introduit un nouveau moyen pour majorer les marges et gagner quelques millions de francs sur le dos des producteurs.
Cette pratique inacceptable, mais courante, des rétrocommissions se justifie aux yeux des acheteurs par l’argument déplacé de l’optimisation – comme dans l’industrie – des processus de production à améliorer du côté des producteurs. C’est une pression inadmissible et intenable de la part des grands distributeurs sur la production alimentaire suisse, locale, durable et de qualité, soumise aux conditions de productions les plus exigeantes au monde. Les acheteurs semblent toujours ignorer que la production agricole est tributaire de la nature, de la météo, du climat ainsi que du facteur de production incontournable qu’est le sol.
En 2025, certains conseillers et stratèges économiques n’auraient-ils donc toujours pas compris que l’agriculteur et le maraîcher n’ont pas les mêmes contraintes de productions qu’une usine de clous ou de puces électroniques, que l’on peut délocaliser, contrairement à la production de légumes, afin de pallier une production locale jugée pas assez rentable ou trop contraignante socialement? À mon avis, ils le savent bien, mais ils s’en moquent, tout simplement. Dans la lutte engagée par la grande distribution pour atteindre des prix toujours plus bas, tout moyen est bon pour réduire les coûts du panier alimentaire. Il ne faisait aucun doute qu’elle serait menée sur le dos des agriculteurs.
La crainte des producteurs concernés de s’exprimer dans la presse illustre bien le rapport de force engagé. Loin de toutes considérations et des publicités bucoliques mettant en scène des producteurs, des poules et des carottes «heureuses», la peur de parler domine face à un dilemme inadmissible: soit s’exprimer et risquer d’en subir les conséquences, soit se taire et accepter une nouvelle baisse de prix. En réalité, tout est bien facile à justifier pour les grands distributeurs: en deux ou trois lignes d’un communiqué de presse, la situation est corrigée pour le public-consommateurs et une nouvelle action fait bien vite oublier que la survie économique des producteurs, de leur entreprise et de leurs employés est en jeu.
Pour corriger la situation, la grande distribution doit impérativement enfin considérer et reconnaître la production agricole suisse à sa juste valeur, celle dont l’image idéalisée est véhiculée par un marketing lissé. Cette image ne reflète en rien la réalité financière, sociale et humaine vécue sur les exploitations en raison de l’indécence persistante des pratiques de rémunérations et des prix payés aux producteurs en Suisse perpétuée par la distribution.