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Politique agricole

Société. Bonne image n’est pas image réelle

La population perçoit l’agriculture de façon positive. Il n’est pas rare pourtant que les agriculteurs se sentent incompris.

Réel ou pas? Au gré des mises en scène, la perception de la vérité s’étiole.IStock

Martine Romanens

Martine Romanens

1 mars 2024 à 13:39, mis à jour le 11 mars 2024 à 16:04

Temps de lecture : 3 min

Quelles sont les conséquences d’une perception biaisée du quotidien agricole, son impact sur la politique, la consommation durable, la valorisation des agriculteurs, des produits locaux ou, encore, sur d’éventuelles dénonciations? Lors de chaque rassemblement agricole, le constat se répète, limpide: l’image perçue ne reflète pas la réalité.

D’abord, pour poser le cadre sans creuser, non plus, un fossé inutile, petit rappel: seuls 2,3% des actifs vivent leur quotidien dans les champs. "Les trois quarts de la population évoluent en milieu urbain", indique sur son site, l’Union suisse des paysans (USP). "Il faut remettre la prise", arguent certains. L’image est parlante. La réalité agricole semble s’effacer derrière un voile de représentations publicitaires qui, bien que séduisantes, ne rendent pas fidèlement compte de la complexité et de la diversité du secteur. Des champs verdoyants aux vaches paisibles, les clichés abondent mais ne reflètent qu’une facette largement diffusée.

Certes, vendre n’est pas apprendre. Rares sont les publicités qui mettent en exergue négativement une profession. Mais la branche elle-même n’est pas à l’abri de marquer de mauvais points. Les frasques de la vache Lovely ont attiré plusieurs fois des remarques d’arrière-boutique quand, dernièrement, un message de l’interprofession de la viande a été pointé par la Commission suisse pour la loyauté. Est-il utile de rappeler que la publicité est omniprésente? Rien que les magazines des deux géants orange décomptent chacun plus de 600 000 lecteurs.

Sondages unanimes

Pourtant, loin des discussions animées des assemblées, des enquêtes menées sous mandat de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) tendent, elles, à prouver une perception positive de l’agriculture. En 2022, un sondage Univox (700 personnes) "laisse apparaître que la population a globalement une excellente image de l’agriculture suisse", affirme l’OFAG. Selon les répondants, les principales tâches de l’agriculture suisse consistent dans l’ordre: à respecter le bien-être des animaux, à assurer la sécurité de l’approvisionnement alimentaire en temps de crise et, en troisième position, à produire des denrées alimentaires.

En 2023, l’institut d’études de marché Démoscope interroge 1061 personnes. Résultat? Près de 39% des personnes interrogées considèrent l’agriculture suisse «digne de confiance», «proche des consommateurs» (34%) et «adaptée à notre époque» (27%). "Neuf personnes sur dix estiment que les paysans s’efforcent de produire ce que le consommateur souhaite avoir dans son assiette."

Enfin, un dernier sondage mené par Link (1248 personnes), en août 2023 pour le compte de l’USP, montre que la profession bénéficie d’un capital confiance beaucoup plus élevé que d’autres. Cette image tendrait même à s’améliorer.

Voici pour les sondages. Le soutien obtenu lors des votations compte lui aussi comme un indice. «Si l’on en croit la revue de presse journalière, une vingtaine de sujets agricoles (ndlr: hors révolte) sont publiés par jour en Romandie. La critique, il faut l’avouer, est plutôt rare!», réagit Alexandre Truffer, directeur de Campagnes.com Sàrl. "Un de nos stagiaires s’est prêté au jeu d’analyser tous les articles des médias: leurs papiers reflètent un bon équilibre. Toutefois le négatif reste plus ancré dans la mémoire", partage quant à elle Sandra Helfenstein, de l’USP. Et la politique? «Nous sommes ici à un autre niveau. Les fronts sont plus figés», estime Alexandre Truffer.

Négative à l’interne

Bonne image n’est toutefois pas juste image. «Certains idéalisent une existence bucolique, tandis que d’autres imaginent une agriculture hautement technologique. C’est certain, les gens ne saisissent pas les enjeux du secteur», confirme Alexandre Truffer qui ajoute que les agriculteurs sont très critiques envers eux-mêmes. "Un besoin de reconnaissance est souvent exprimé, pourtant beaucoup craignent de présenter leur travail aux médias. Les critiques de l’entourage peuvent être très vives», pointe le communicant.

Que faire? Pêle-mêle, quelques idées recensées: diffusions en direct depuis des fermes, étiquettes de produits interactives, programmes d’immersion (pour politiques), jeux de simulation, matériel vulgarisé pour les médias, etc. Certains prévoient aussi d’intensifier leur collaboration avec des diffuseurs (télé ou radio). Dans tous les cas, créer l’information est une chose, la partager en est une autre.

Michael Kamm, CEO de l’Agence Trio, à Lausanne

Sur quels critères vous basez-vous pour élaborer des campagnes publicitaires liées à l’agriculture et comment vous assurez-vous qu’elles représentent la réalité du secteur?

Avant d’y travailler, de concert avec nos clients, nous fixons des objectifs. S’il s’agit par exemple de mettre en avant l’authenticité ou les traditions, nous respectons ces critères. C’est donc relativement simple, si nous était fixé l’objectif de nous battre contre un imaginaire ou de respecter une réalité, nous le ferions. Il est toutefois évident que, dans un cadre publicitaire et touristique aussi, d’ailleurs, nous contribuons à entretenir cette image d’Épinal. Bien qu’elle ne soit pas forcément représentative de la réalité du secteur, elle est bénéfique pour ses produits.

Avez-vous déjà mené des campagnes visant à corriger ou à nuancer une image idéalisée?

Oui, c’est arrivé, mais il est difficile de défaire ce qui est gravé. Une image créée par l’émotionnel reste très fortement ancrée. Quelle image ai-je en tête si je pense à votre secteur? Celle des affiches où des individus en chemise edelweiss arborent des têtes d’animaux. Elle ne représente en rien vos réalités. Je dirais qu’aujourd’hui, existe un fossé entre, d’un côté, ces images du type bouvier bernois avec enfant blond croquant une pomme et, de l’autre, celles d’un secteur en colère avec de rudes conditions de vie. Il manque ce qui lie ces deux visions: des explications. En cela, les documentaires me paraissent des outils puissants.

Une partie de ces explications existent, comment les promouvoir?

Il faut utiliser les mêmes outils que les autres secteurs comme promouvoir des influenceurs ou des porte-parole, à l’image de Didier Cuche ou Jacques Bourgeois. L’agriculture est très forte pour se mobiliser, pourquoi ne le fait-elle pas pour son image?

Propos recueillis par Martine Romanens

Sandra Helfenstein, responsable communication et marketing, USP

Quel est votre regard sur la perception de l’agriculture?

Il y a l’image et la compréhension. L’image est bonne même si, parfois, les agriculteurs pensent le contraire. La compréhension, en revanche, est une autre paire de manches. Le public a l’impression que la situation des exploitations suisses est bonne, grâce aux paiements directs. Il ne réalise pas que l’enveloppe reste stable depuis longtemps, qu’il faut fournir toujours plus de travail pour y avoir droit.

Comment réagissez-vous quand un article dispense des informations partielles ou erronées?

Si des faits prouvables sont faux, on peut demander une correction. Mais les rectificatifs occupent toujours une petite place au milieu du journal. Ce qui est plus délicat, c’est de déjouer les convictions perçues au travers d’un papier. Là, nous sommes impuissants. Tout le monde peut réagir à des propos, par des lettres de lecteurs par exemple.

Quel est le budget de l’USP pour la communication?

Nous avons avant tout un budget pour notre communication marketing qui s’élève à un peu plus de 2 millions de francs, que nous pouvons doubler grâce aux fonds de promotion des ventes. Comme elle comprend une manne fédérale, cette communication doit être apolitique. Nous effectuons d’autres travaux de communication par le biais des médias et de nos propres canaux de communication.

La campagne de base de l’USP ne favorise-t-elle pas aussi une image pittoresque de l’agriculture?

Pas du tout. Beaucoup de nos projets sont conçus pour que le public visite des fermes ou entre en contact avec de vrais professionnels. C’est là que l’on voit la vraie vie. Le danger réside plutôt au niveau de l’image, mais nous essayons délibérément de prendre le contre-pied et de montrer une agriculture proche de la réalité.

Propos recueillis par Martine Romanens

"Arrêter de cultiver l’image"

Éric Pythoud, producteur laitier, à Albeuve (FR)

Quels sont les principaux enjeux que vous voudriez voir mieux compris?

Nous sommes d’abord des producteurs de denrées alimentaires qui produisent ce que le marché demande, les paiements directs rémunèrent des prestations ou contraintes supplémentaires et nous devons pouvoir vivre de notre travail.

Quand percevez-vous cet écart entre la réalité de votre travail et l’image du grand public?

Quand, par exemple, certains arguent que les engrais de ferme polluent alors qu’il s’agit juste de la fermeture du cycle ou quand on nous demande de détenir des vaches plus vieilles alors qu’elles pourraient en souffrir. Prenons l’alpage, en réalité c’est loin d’être des vacances, ni pour nous ni pour nos vaches, certainement mieux au frais et à l’ombre avec fourrage et eau à portée de museau.

L’image idyllique vous a-t-elle occasionné une certaine pression?

Je n’ai jamais voulu jouer à ce jeu. Il faut arrêter de cultiver cette image. Une ferme propre, c’est normal: le travail y est plus intéressant. On ne trait plus sur l’alpe avec un brotzè, le fromage est essentiellement produit sur nos exploitations de base et le Vacherin fribourgeois AOP est aujourd’hui presque toujours thermisé parce que le consommateur préfère un produit régulier. Il faut le dire, l’expliquer et arrêter de vouloir dissimuler. Un jour des enfants sont arrivés alors que j’écornais les veaux. Un collègue m’a dit que j’étais fou de le faire devant eux. Je ne le pense pas. C’est à nous d’expliquer le pourquoi.

Des diffusions directes, par exemple via les réseaux sociaux, reflètent la réalité. Mais est-ce à l’agriculteur de trouver l’énergie de se défendre?

Si j’étais plus à l’aise sur ce type d’outil, je m’y lancerais. D’ailleurs, je trouve intéressante la formule des fermes ouvertes. Dommage que l’événement ait lieu un seul jour et à la saison de l’alpage.

Propos recueillis par Martine Romanens

Publicité active nécessaire pour les contenus

Pour diffuser une image plus réelle – ce que mettent déjà en œuvre les agences agricoles – encore faut-il que le message atteigne son but. Du côté romand, les articles de l’Agence Agir comptabilisent environ 30 à 40 reprises, y compris celles de la presse agricole. Bien que nous ne disposions pas de données chiffrées, les contenus produits dans le cadre d’Agriculture durable (www.agriculture-durable.ch) se diffusent aujourd’hui essentiellement par les réseaux sociaux (vidéos et articles), par le biais d’une émission télé, de circuits paysans, d’une future bande dessinée ou sur des imprimés. Un projet radio est envisagé. Du côté de l’USP, selon Sandra Helfenstein, "le site de la campagne de base est bien visité grâce à une publicité active sur les réseaux sociaux". Il atteindrait son public, soit le citoyen lambda.