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Chine. Des «néo-paysans» devenus influenceurs pour le terroir

En Chine, une nouvelle génération d’agriculteurs, qui espère vendre les produits directement aux consommateurs, révolutionne la vie rurale en faisant la promotion du terroir et du métier sur les réseaux sociaux.

Le terme de «néo-paysans» est utilisé en Chine pour désigner une nouvelle génération d’acteurs du monde rural qui s’est emparée des techniques numériques.iStock

ATS

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14 juillet 2025 à 09:09

Temps de lecture : 3 min

Dans la province du Shandong (est), souvent considérée comme l’un des «greniers» du pays, Chen Xichuan presse une poire bien mûre devant la caméra de son téléphone fixé sur un trépied. «Regardez tout ce jus!», lance-t-il aux spectateurs, le visage protégé du soleil par un chapeau de paille. «Ramenez-la chez vous, goûtez-la et préparez du jus frais pour vos enfants», ajoute ce cadre du parti communiste de la petite ville de Pingdu.

Le terme de «néo-paysans» est utilisé en Chine pour désigner une nouvelle génération d’acteurs du monde rural qui s’est emparée des techniques numériques. Sur Xiaohongshu, un réseau social chinois comparable à Instagram, le hashtag correspondant a été vu plus de 225 millions de fois. Certains suivent même des «camps pratiques» pour apprendre à attirer les clics grâce à de la diffusion en direct de contenu vidéo sur Internet.

Dans une salle de classe, l’agricultrice Gao Chaorong montre à une douzaine d’élèves la meilleure façon de cuisiner une aubergine tranchée.

Dépasser ses limites

«Quand vous vendez, il ne s’agit pas seulement de réciter unscript», commente la formatrice Tian Dongying après la démonstration de Mme Gao. «Il faut comprendre à qui vous vous adressez». La concurrence est rude et «on ne peut plus se contenter de l’agriculture à l’ancienne», explique à l’AFP Mme Gao pour justifier sa participation au camp.

Elle cultive blé, patates douces et cacahuètes au pied du mont Maling. En parallèle, elle partage des vidéos de ses récoltes sur les réseaux sociaux, où elle cumule plus de 7000 abonnés. Les agriculteurs qui n’adoptent pas ces nouvelles méthodes risquent, selon elle, de voir leurs récoltes invendues «pourrir dans les champs».

Mme Tian, qui a fondé l’école de formation à la diffusion en direct avec ses deux soeurs et une cousine, estime que tous ses élèves méritent «20 sur 20». «Ils n’avaient jamais fait cela et le simple fait de prendre la parole est déjà un défi», explique-t-elle à l’AFP. «S’ils veulent gagner cet argent, ils doivent dépasser leurs propres limites».

Scénarios et accessoires

Selon Douyin, le nombre de créateurs liés à l’agriculture et au monde rural a bondi de 52% sur un an. La diffusion en direct plaît aux agriculteurs, car les utilisateurs peuvent y acheter directement les produits et poser des questions en direct aux vendeurs.

M. Chen promet par exemple un remboursement si ses fruits arrivent abîmés. Il explique avoir été chargé par ses supérieurs d’aider les agriculteurs à vendre en ligne et suit lui-même les cours de l’école de Mme Tian pour perfectionner ses compétences en diffusion en direct. «Il est devenu plus difficile de vendre, surtout hors ligne», confie-t-il à l’AFP.

Les sœurs Tian, expertes en e-commerce et issues d’une famille d’agriculteurs, organisent chaque mois ce stage intensif, facturé environ 5000 yuans (592 euros) pour quatre jours de formation, et promettent un suivi «à vie».

Les élèves y apprennent à capter l’attention grâce à des scénarios, des accessoires et des décors soignés.

Revitalisation rurale

Le secteur agricole prend de l’importance en Chine, alors que des industries comme l’immobilier «ne sont plus aussi prospères» et que le chômage augmente, souligne Tian Chunying, directrice de l’école et sœur aînée de Dongying.

Le président chinois Xi Jinping a fait de la revitalisation rurale une priorité depuis son arrivée au pouvoir en 2012. «Un pays doit d’abord renforcer son agriculture avant de se renforcer lui-même», avait-il déclaré en 2022.

Les outils numériques comme la diffusion en direct ont changé la perception de la vie rurale en Chine, explique Pan Wang, professeure associée d’études chinoises à l’université de Nouvelle-Galles du Sud, en Australie. «Traditionnellement, les agriculteurs chinois étaient perçus comme pauvres, déconnectés de la technologie, travaillant du lever au coucher du soleil», explique-t-elle à l’AFP.

Les obstacles restent malgré tout nombreux pour les agriculteurs souhaitant se mettre à la page. «La diffusion en direct et les vidéos, c’est tout nouveau», poursuit Mme Gao. «Pour les jeunes, cliquer sur un ordinateur, c’est naturel, mais pour nous, il faut deux fois plus d’efforts pour apprendre».