Naisseurs, engraisseurs et marchands doivent tous tirer à la même corde
Les différents échelons de la production de veaux d’étal sont sous pression. Même si de gros efforts ont été faits, la filière utilise encore beaucoup d’antibiotiques. Une nouvelle task force a été créée pour tenter d’améliorer la situation.
«L’utilisation d’antibiotiques chez les animaux de rente est un sujet
important, à court comme à long terme, et les veaux sont
particulièrement visés!» Par ces mots, Martin Kaske, gérant du Service
sanitaire veaux Suisse (SSV), a planté le décor de la table ronde
organisé par le SSV sur les perspectives, à l’horizon 2030 de la
production de veaux d’étal dans notre pays. Une cinquantaine de
participants, représentant l’ensemble des échelons de la filière, ont
participé à l’événement qui s’est tenu le 9 mars 2023 dans les locaux de
l’Inforama Rütti, à Zollikofen (BE).
Même si la situation en
matière d’élevage et d’engraissement des veaux est meilleure en Suisse
que dans les autres pays européens, cela ne signifie pas pour autant,
aux yeux de Martin Kaske qu’on peut s’en satisfaire: «La Suisse se doit
de préserver cet avantage à long terme».
Vétérinaire de
formation, le gérant du SSV a souligné les importants progrès réalisés
ces dernières années. «Des solutions ont été élaborées pour réduire
considérablement l’utilisation d’antibiotiques chez les veaux. Mais
elles n’ont pas toutes pu être établies comme standards de la branche»,
a-t-il regretté. «Si la branche ne développe pas elle-même des
propositions de changement à court terme, il faut s’attendre à des
mesures restrictives de la part de la Confédération.»
Responsabilité partagée Tous
les acteurs de la filière doivent se sentir concernés par l’objectif de
réduire, autant que possible, l’utilisation d’antibiotiques. «Il ne
suffit pas de pointer du doigt les engraisseurs», a insisté Martin
Kaske. «Toutes les parties prenantes ont une obligation de résultat!»
Cela doit concerner les exploitations de naissance, les organisations
d’élevage, les marchands de bétail, les transporteurs, les engraisseurs,
les abattoirs, les grands distributeurs mais aussi les consommateurs.
Directeur
du syndicat suisse des marchands de bétail (SSMB), Peter Bosshard a
expliqué le défi logistique que pose la structure de l’engraissement des
veaux aux membres de son association: «En moyenne chaque exploitation
laitière suisse ne commercialise que 12 veaux maigres par an».
Le
directeur du SSMB a également souligné les efforts déjà réalisés par le
commerce de bétail. «En cinq ans, nous avons réduit la distance moyenne de
transport des veaux maigres de 30 km et augmenté le poids moyen de près
de 10 kg», a-t-il précisé. «Les marchands de bétail font déjà partie de
la solution et nous voulons que cela perdure.»
Le recensement et
la réduction de l’utilisation d’antibiotiques entraînent des dépenses
considérables, qui doivent être compensées. Mais Beat Wütrich, de
Micarna, a estimé difficile de reporter les surcoûts sur les
consommateurs: «Dans le contexte inflationniste actuel, les gens sont de
plus en plus sensibles aux prix».
Nouvelle task force Les
discussions à la table ronde ont permis à chacun de faire part de ses
préoccupations. En fin de journée, sur proposition du SSV, une task
force a été mise en place avec pour objectif de réaliser des progrès
concrets et dépasser les déclarations d’intention.
«Pour les miracles, il faut prier, mais pour les changements, il faut travailler», a conclu Martin Kaske. Vincent Gremaud, le 17 mars 2023.
__________________________________ UNE CHARGE POUR LES PRODUCTEURS DE LAIT
Invité
par le Service sanitaire veaux Suisse (SSV) à venir présenter la
position d’un naisseur, Markus Gerber, producteur de lait à Bellelay
(BE), s’est exprimé en son nom propre et non en sa qualité de président
de Swissherdbook.
Dans un esprit de transparence, il a dévoilé
des chiffres intéressants concernant l’atelier veaux de la communauté
d’exploitations à laquelle il appartient. Le troupeau laitier est
composé de 60 vaches Red Holstein et Holstein ainsi que de 80 génisses
d’élevage. Sur l’année 2022, un total de 46 vachettes et 24 veaux mâles
(19 avec une génétique purement laitière et 5 croisés avec une race à
viande) sont nés sur cette communauté d’exploitations.
Revenu faible, voire nul En
moyenne, ces 24 veaux sont restés 32,7 jours sur l’exploitation de
naissance avant d’être commercialisés en tant que veaux maigres, à un
poids vif de 70,1 kilos. Leur vente a rapporté 433 francs tandis que les
charges spécifiques se sont élevées à 329,7 francs par animal. «Ces
charges comprennent les coûts de main-d’œuvre, comptés à 30 fr./h», a
précisé Markus Gerber. «Mais je n’ai pas inclus les frais vétérinaires.»
Au
final, chaque veau a laissé un produit net de 103.5 francs. Mais Markus
Gerber ne s’est pas contenté de ces moyennes. Il a ensuite séparé les
résultats des veaux croisés de ceux purement laitiers. Les premiers
permettent de réaliser un revenu net de 490 francs par animal tandis que
les seconds ne rapportent qu’un revenu symbolique de 1,7 franc par
animal.
Les calculs de Markus Gerber mettent en évidence l’intérêt d’une bonne gestion des inséminations et du choix de la génétique.
Structures à changer Reprenant
sa casquette de président de la fédération d’élevage Swissherdbook,
Markus Gerber a plaidé en faveur d’une modification du système actuel.
«Aujourd’hui, on reproche aux naisseurs de vendre des animaux chétifs,
mais le problème vient du fait que la mise en étable des veaux maigres a
lieu à l’âge de 3 à 4 semaines, juste au moment où leur immunité est la
plus faible.»
En effet, alors que les veaux bénéficient de
l’immunité passive offerte par leur mère, via le colostrum puis le lait,
durant les premières semaines de leur vie, cette immunité baisse avant
qu’ils ne développent leurs propres défenses. La solution de branche
actuelle prévoit de déplacer et regrouper les veaux exactement au moment
où ils sont le plus fragiles.
«Une possibilité serait de changer
les structures, avec la mise en place d’exploitations de
pré-engraissement», a relevé Markus Gerber. «Leur rôle serait de prendre
en charge les veaux beaucoup plus jeunes et de préparer les lots dont
les engraisseurs ont besoin.» VG, le 17 mars 2023.
__________________________________ DES VEAUX SAINS À ENGRAISSER
Agriculteur
à Küssnacht am Rigi (SZ), Paul Weiss y détient un troupeau de 30 vaches
allaitantes, ainsi qu’un atelier d’engraissement de veaux gras. Il est
également intervenu en préambule de la table ronde du Service sanitaire
veaux Suisse pour faire part des préoccupations des engraisseurs,
notamment sur l’état de santé des veaux maigres qu’ils réceptionnent.
Depuis
trois ans et demi, Paul Weiss a mis en place des mesures pour tenter de
diminuer ses utilisations d’antibiotiques. Il n’achète ainsi quasiment
plus aucun veau à des marchands de bétail. «J’ai conclu un arrangement
avec huit producteurs de lait qui se trouvent dans ma région, à moins de
10 minutes de mon exploitation», a expliqué Paul Weiss, qui est
également vice-président de la Fédération suisse des engraisseurs de
veaux (SKMV). «Je leur prends tous leurs veaux, malheureusement pas
uniquement les bons.»
Des veaux arrivent chez lui chaque semaine.
Après 10 jours de quarantaine dans des box individuels, ils sont
systématiquement vaccinés et reçoivent du fer et du sélénium.
Grâce
à ces mesures, Paul Weiss a non seulement réduit sa consommation
d’antibiotiques, mais il a aussi réussi à se passer presque entièrement
d’antibiotiques critiques. «Depuis trois ans, je n’en avais plus
utilisés. Mais il y a trois semaines, j’ai dû intervenir avec de tels
médicaments, suite à une infection massive importée dans mon étable via
trois veaux d’un fournisseur qui a oublié d’indiquer sur le document
d’accompagnement que ces animaux étaient malades», regrette-t-il.
L’engraisseur
souligne tout de même que s’il a baissé sa consommation
d’antibiotiques, ses veaux ne sont pas pour autant en meilleure santé.
«Je ne sais pas jusqu’où on pourra réduire ces médicaments sans péjorer
le bien-être animal.» VG, le 17 mars 2023.
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