Un microscope comme outil de gestion
Evaluer de façon concrète l’effet d’un biostimulant ou l’impact d’un amendement, est-ce possible? Peut-être que oui, du moins en partie. Combiné à d’autres méthodes comme l’analyse de sol, de sève ou la chromatographie, l’usage d’un simple microscope peut, en effet, aider à appréhender, à un niveau de détail assez précis, la dynamique du réseau trophique de son sol.
Sous le binoculaire, ce compost acheté «mûr» laisse apparaître de nombreux résidus? «Il y a eu un problème dans le processus de décomposition!», affirme Marie-Thérèse Gässler. Cette ingénieure agronome, fille d’un précurseur actif sur une exploitation d’Amblainville (F), s’est formée à la biologie du sol, notamment auprès du Dr Elaine Ingham. Cette microbiologiste américaine est à l’origine de Soil Foodweb, qui promeut une méthode permettant de réduire les apports et d’augmenter la séquestration de carbone dans le sol. Selon cette approche, le réseau trophique du sol pourrait offrir une protection contre les ravageurs et maladies jusqu’à même inhiber la croissance des mauvaises herbes. «Toutefois, nous ne disposons plus, aujourd’hui, de réseaux permettant de bénéficier de cette fonction», tempère Marie-Thérèse Gässler. Invitée à Yverdon-les-Bains (VD), dans le cadre d’un cours organisé par Proconseil, cette dernière a présenté les avantages de l’utilisation du microscope en agriculture. Grâce à celui-ci, il est désormais envisageable d’évaluer soi-même qualité, quantité et diversité des micro-organismes en interaction sur ses parcelles ou d’examiner l’apport de carbone et de biologie lors de l’utilisation de composts ou de produits organiques (thés, ferments, bactéries ou mycorhizes). En outre, en plus de permettre d’observer la formation de micro et de macro-agrégats à la base de la structure et de la porosité du sol, un microscope peut aussi faciliter l’adaptation de ses recettes ou processus de fabrication (mauvaise vidange d’une cuve, manque d’air, etc.). Pour environ 500 francs, petit matériel compris, il est possible de se lancer.
Distinguer les micro-organismes Mais avant d’être en mesure d’interpréter, il faut d’abord connaître et même reconnaître ce qui se cache dans le sol et ces quelques lignes n’y suffiront pas. Environ 85 à 90% des nutriments absorbés par les plantes passent par les micro-organismes. «Ni bon, ni mauvais en soi, chaque micro-organisme est indicateur de l’état du milieu duquel il a été prélevé», explique Marie-Thérèse Gässler.
Les nématodes, d’abord, sont de petits vers de 1 mm de long. Souvent associés à la maladie, de nombreux nématodes sont pourtant bénéfiques: ils régulent l’ensemble des populations et recyclent les éléments. Les nématodes endossent aussi le rôle de transporteurs pour de plus petits organismes. Bons indicateurs de l’état du sol, ils sont très sensibles à leur environnement. Certaines études se penchent d’ailleurs sur eux dans le but de les promouvoir comme marqueurs fiables de la qualité du sol. «En France, le laboratoire Elisol propose ce type d’analyses», suggère Marie-Thérèse Gässler. Les nématodes, de par leur taille, sont faciles à observer au microscope. Certains sont bactérivores, fongivores, prédateurs, omnivores ou phytophages, cette dernière catégorie étant la seule non souhaitée (elle représente en réalité 16% de l’ensemble des nématodes). Au microscope, l’observation de la cavité buccale permet de différencier les nématodes phytophages.
Les protozoaires, ensuite, intègrent les amibes et les flagellés ainsi que les ciliés. Ces micro-organismes sont de particulièrement bons indicateurs de l’état d’oxygénation et par conséquent de compaction du milieu. A l’observation, les amibes (aérobies) apparaissent immobiles ou lentes. Elles mesurent de 5 à 20 micromètres (µm). Les flagellés (aérobies toujours) sont, eux, de formes variables et munis d’une ou deux flagelles. Quant aux ciliés, ils mesurent de 10 à 20 µm et sont mobiles et recouverts de cils. Comme ils pointent le manque d’oxygène (si majoritaires) ils sont aussi intéressants à compter lors d’analyses de composts ou de thés.
Les champignons, quant à eux, sont aussi assez faciles à observer. Les bénéfiques présentent un diamètre plus grand ou égal à 3 µm. Uniformes et colorés, ils abordent des cloisons régulières. Les pathogènes sont plus petits et transparents.
Les bactéries, enfin, se cachent souvent dans de fines particules d’eau et sont particulièrement présentes dans la zone qui entoure les racines. La majorité préfère les sols bien oxygénés. D’autres bactéries, pathogènes cette fois, préfèrent les conditions anaérobies et peuvent même chasser ou tuer les premières en acidifiant le milieu. Plus petits et résistants organismes du sol, les bactéries sont capables de survivre à des conditions difficiles ou changeantes. Quatre catégories principales se distinguent: les décomposeurs consomment les sucres et les composés carbonés simples (dégradation de la matière organique), les mutualistes établissent des symbioses bénéfiques avec les plantes, tandis que les pathogènes causent des maladies chez les êtres vivants. Restent les lithotrophes qui transforment des nutriments en énergie, participent au cycle de l’azote et à la dégradation des polluants. Au microscope, il est difficile de déterminer avec exatitude le type et la fonction d’une bactérie.
__________________________________ Comment mettez-vous en pratique les bases du cours de Proconseil?
Stéphane Deytard, Suchy (VD) «J’ai acquis un microscope de la maque Kern et me suis prêté au jeu. Très intéressant! Pour l’instant, j’en suis à mes premières observations. J’ai examiné un échantillon de sol après un compostage de surface. J’ai pu, du coup, constater la présence d’une grande diversité de bactéries et champignons! Je me suis aussi amusé à contrôler un thé de compost mené dans les règles avec une bonne oxygénation. J’ai pu confirmer une pratique conforme avec la présence de micro-organismes bénéfiques et indicateurs d’une bonne aération. Par contre, j’ai extrait un échantillon de mon thé que j’ai placé dans un bocal. La présence de ciliés (protozoaires anaérobies) et de spiriformes (bactéries) m’a confirmé que le liquide se dégradait. Il est parfois pénible d’observer dans les oculaires du microscope, je viens donc d’acquérir un petit système pour pouvoir fixer le téléphone. La formation m’a bien lancé, mais il m’a fallu chercher d’autres clichés de micro-organismes agrandis pour pouvoir les reconnaître en toute sécurité.» Bernard Bezençon, Eclagnens (VD) «Comme plusieurs, j’ai assisté à ce cours en premier lieu pour me former à être en mesure de vérifier si ma recette de thé de compost contient bien les organismes désirés. Toutefois, face à la météo de ce printemps, j’ai été contraint de me rabattre sur l’utilisation d’autres solutions que le thé. Du coup, je n’ai pas encore eu l’occasion d’expérimenter. Par contre, dès qu’il sera possible et que je me serai procuré le matériel nécessaire, je vais m’y mettre. Dans l’idéal, il faudrait que quelques pionniers puissent s’y plonger pour ouvrir la voie, notamment en Suisse romande. Il y a du potentiel et je suis d’ailleurs très positif face à ces nouvelles possibilités et méthodes. Mais tout cela demande du temps, de l’apprentissage et une grande humilité. Lorsque l’on travaille avec d’autres approches, il faut se résoudre parfois à admettre qu’un plus un ne font plus forcément deux. Ce n’est toutefois pas en une journée et demie (ndlr: la durée du cours) que l’on devient capable de mener des observations sûres.» __________________________________
Compétences assez vite acquises A la lecture de ces lignes, la perspective de mener des analyses concrètes sur son exploitation semble probablement obscure. Marie-Thérèse Gässler assure pourtant qu’avec quelques notions de base et surtout de la pratique, il devient rapidement possible de tirer ses premières conclusions. Avant d’être observées, certaines matières exigent une dilution. Pour le compost et le sol, par exemple, 1 ml d’échantillon sera dilué dans 4 ml d’eau distillée. Secouer 30 secondes puis laisser reposer. A ce stade on parle d’une dilution 1 : 5, ce qui met en lumière nématodes, champignons et protozoaires. Il peut être nécessaire de diluer plus pour compter les bactéries. Attention de ramener ses comptages à l’échelle de la dilution. Les thés et les ferments s’observent d’abord sans dilution.
A l’heure de l’observation, avec une pipette, déposer une goutte d’échantillon sur une lame propre et répartir. Débuter l’examen toujours depuis le même coin. Commencer par l’objectif 10X et détecter, à ce stade, la présence de résidus et de nématodes. Pour observer les bactéries, il peut être nécessaire de fermer complètement le condensateur. Attention de regarder sur toute l’épaisseur de la goutte.
Quel que soit son niveau, noter et documenter la diversité des bactéries, (taille, forme, couleur), la présence de protozoaires et des différents champignons et nématodes. Prendre des photos avec un téléphone portable est très facile sur le microscope et ne nécessite ni appareil, ni installation particulière. Martine Romanens, le 19 mai 2023
Sur ce cliché (100X), un nématode pathogène reconnaissable à sa cavité buccale particulière.
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