L’exploitation forestière atteint ses limites dans certaines régions
Le bois suisse n’est pas une ressource si inépuisable que ça! Même si le stock de bois est plutôt élevé, le potentiel durable de récolte est presque atteint dans certaines régions. C’est un indicateur à considérer, notamment avant de planifier de gros projets utilisant du bois local.
La loi fédérale sur les forêts (LFo) stipule que la forêt doit être gérée de manière durable, de sorte qu’elle puisse remplir ses différentes fonctions. La notion «d’exploitation» fait partie d’une liste de 13 indicateurs permettant de définir cette durabilité (lire l’encadré ci-contre). Les indicateurs ont été définis en commun entre la Confédération et les cantons, en se basant sur les indicateurs de Forest Europe, reconnus au niveau international. «Il s’agit d’une part de garantir les fonctions de la forêt: protection contre les dangers naturels, fournisseur de bois, filtre pour l’eau potable, habitat pour les plantes et les animaux, lieu de détente pour l’homme. Et, d’autre part, de choisir des mesures sylvicoles pour une adaptation ciblée de la forêt aux changements climatiques», explique Michael Husistein, chef de section Conservation des forêts et politique forestière au sein de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV).
Diversité régionale On parle de gestion durable lorsque l’utilisation ne dépasse pas le potentiel exploitable. Ce dernier est estimé à hauteur de 7 à 8 millions de mètres cubes pour toute la Suisse. Actuellement, l’exploitation (tous assortiments confondus: bois d’énergie, d’industrie ou de service) atteint 5 mio de mètres cubes. On peut donc penser qu’il y a encore de la marge; c’est exact mais pas partout! Le stock de bois est en effet considéré comme étant élevé de façon générale dans le pays mais ce n’est pas une généralité pour toutes les régions. Dans certaines zones, l’heure est à la prise de conscience sur le fait qu’il ne s’agisse pas d’une ressource illimitée (Plateau et Jura). A l’inverse, le potentiel est encore très grand dans les Préalpes, les Alpes ou le sud des Alpes en particulier. «De 2007 à 2017, la réserve de bois sur pied a augmenté de 15% dans les Alpes et de 30% au sud des Alpes. Alors qu’en parallèle, elle a baissé de 11% sur le Plateau», illustre Benno Schmid, responsable de la communication au sein de ForêtSuisse. «Dans ces régions, on a exploité pendant des décennies moins de bois qu’il n’en pousse. Aujourd’hui, il faudrait utiliser l’accroissement en cours et prendre un peu des réserves en plus. Une exploitation plus importante pourrait y offrir la stabilité requise pour que les forêts se régénèrent», ajoute Michael Husistein. Si de telles différences sont observées, c’est notamment lié à la topographie et aux possibilités d’accès, avec des dépenses plus élevées pour l’entretien et l’exploitation de ces forêts difficiles à atteindre.
La forêt change Les conditions d’exploitation ne sont toutefois pas les seuls facteurs en cause, comme l’explique Michael Husistein. «Le changement climatique modifie aussi durablement la forêt, plus rapidement et plus radicalement dans certaines régions que dans d’autres. Une partie de l’exploitation est ainsi due à la récolte de bois endommagé et celle-ci est plus élevée sur le Plateau car c’est là que les effets du changement climatique sont les plus importants.»
Ce bois endommagé doit être partiellement récolté afin d’éviter que les dégâts ne se propagent (en présence de bostryche par exemple) ou pour des raisons de sécurité. Le rapport intermédiaire du cinquième inventaire forestier national (IFN5, 2018-2026) a d’ailleurs révélé que la forêt suisse avait souffert des conditions météorologiques sèches et chaudes et que de nombreux arbres avaient péris ou avaient été affaiblis et rendus plus vulnérables à d’autres perturbations, tels que les attaques d’insectes ou les tempêtes. «Les exploitations forcées ont ainsi été plus fréquentes, ce qui a entraîné une augmentation de la production de bois (35% de l’exploitation totale sur le Plateau). L’adaptation de la forêt au changement climatique est donc une tâche importante de la gestion durable des forêts», souligne Michael Husistein.
Emploi accru du bois Ces questions de limites de potentiel d’exploitation ne datent pas d’aujourd’hui mais jusqu’à présent, le seuil était encore loin d’être franchi. Aujourd’hui, la façon de consommer le bois a évolué, incitant à la réflexion dans certaines régions. «Avec le changement climatique et les idées d’un mode de vie plus durable, un accent plus important a été mis sur les matières premières renouvelables comme le bois, qui peuvent apporter une contribution à la politique climatique et énergétique. Nous observons une augmentation de la part du bois dans la construction, mais aussi dans l’énergie. Or, le bois est certes renouvelable, mais il reste une matière première rare qu’il s’agit d’utiliser efficacement», relève le spécialiste de l’OFEV qui précise qu’en raison des effets du changement du climat sur la forêt (arbres qui meurent, croissance plus lente), il faudra s’attendre à de plus grandes incertitudes encore à l’avenir. Sarah Deillon, le 16 août 2023. -------------------------------------------------------------------------------- Une planification de l’utilisation à l’échelle du pays Le développement de la forêt est géré au travers d’une planification, établie selon les fonctions de la forêt, sa superficie, sa répartition et les prestations fournies par les entreprises. Cette planification forestière est indispensable pour assurer une gestion durable des forêts et contribue à leur conservation. Elle appuie 4 sujets importants au niveau fédéral: la stratégie en faveur d’un développement durable des forêts, la politique climatique, la politique forestière et la stratégie d’adaptation aux changements climatiques. Pour parvenir à cette durabilité de la gestion, la Confédération (OFEV) et les cantons (Conférence des inspecteurs cantonaux des forêts) ont défini 13 indicateurs permettant de la mesurer. Il s’agit de: la surface forestière, le volume de bois, la structure de la forêt, les dégâts aux forêts, le rapport accroissement/exploitation, la composition en essences, le degré de naturalité, le bois mort, la part de la surface de forêt protectrice traitée, l’effet de protection, le résultat de l’exploitation forestière, le résultat de la récolte de bois, la fréquence des visites en forêt. Ces indicateurs doivent être considérés tous ensemble. SD, le 16 août 2023. ------------------------------------------------------------------------------- Pas encore de conséquences sur le terrain C’est surtout dans le domaine du bois-énergie que la demande en bois s’est intensifiée. Mais comme l’économie forestière et l’économie du bois s’orientent selon un principe d’utilisation en cascade, les ressources à disposition du bois-énergie ne peuvent pas croître indéfiniment. «Le bois doit d’abord être utilisé comme matière afin de fixer le CO2 le plus longtemps possible. Du point de vue de la politique des ressources et des politiques climatiques et forestières, il serait erroné d’utiliser davantage de bois forestier de meilleure qualité à des fins énergétiques» indique Michael Husistein. Ainsi, le bois-énergie doit être le dernier échelon et c’est là que le potentiel pourrait être atteint.
 Surveiller la situation Pour l’heure, il n’y a pas eu de changements dans la façon d’exploiter les forêts. Toutefois, ces limites de potentiel incitent à la réflexion et à la prudence. Ces dernières années, de nombreux projets de réseaux de chauffage de grande envergure ont vu le jour. A l’avenir, il faudra probablement renoncer à certains projets de taille dans les régions où la limite du potentiel durable est pratiquement atteinte.
«La demande pour le bois-énergie est forte et en théorie, tout le bois récolté en Suisse pourrait être directement brûlé. Aujourd’hui, le bois-énergie absorbe un peu plus de 40% de la récolte totale de bois. Pour les feuillus, en 2022, c’était même les 75% qui étaient utilisés à des fins énergétiques», indique Benno Schmid. C’est pourquoi, l’OFEV est en train de mettre en place un «monitoring bois-énergie» avec Energie-bois Suisse et l’Office fédéral de l’énergie, afin de pouvoir surveiller la situation. «L’objectif est de ne pas planifier plus d’installations de production d’énergie à partir du bois que la quantité totale disponible», explique Michael Husistein.
Sur Fribourg, le potentiel exploitable annuellement a été défini à 325000 m3 mais seuls 245000 m3 sont récoltés. «Il nous reste ainsi une marge de 80000 m3 non exploités. Mais malgré cela, en établissant un rapport pour le canton avec Energie-bois Suisse, nous avons constaté que dans certaines régions, le potentiel pourrait en effet être atteint au niveau du bois-énergie», explique Philippe Wohlhauser, chef de la section forêt et dangers naturels de l’Etat de Fribourg. Il précise qu’avant de réfléchir à un projet d’envergure au niveau local, il importe de se renseigner auprès des triages sur les possibilités d’approvisionnement.
Exploitation maintenue Chaque forêt remplit plusieurs fonctions; la production de bois en fait partie et cela restera le cas à l’avenir. «En Suisse, les forêts sont gérées sur le long terme et par intervention sur des surfaces relativement petites, de sorte qu’il sera toujours possible de récolter du bois. Le produit de la vente du bois reste la principale source de revenus des entreprises et sert à financer la gestion forestière au profit de toutes les prestations et fonctions de la forêt. Comme il s’agit d’un écosystème dynamique, la récolte du bois va se maintenir à hauteur de l’accroissement annuel, même dans les régions où le potentiel durablement exploitable est atteint», indique le spécialiste de l’OFEV.
Benno Schmid précise qu’il faut aussi tenir compte de la part de bois exporté (environ 550000 m3 chaque année). «Dans plusieurs régions de Suisse, les capacités de transformation pour les grumes sont insuffisantes, voire localement inexistantes. Il demeure donc un potentiel pour employer davantage de bois indigène, sans qu’il ne faille augmenter la récolte pour autant.» SD, le 16 août 2023.
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