Une vingtaine d’agriculteurs portent ensemble un projet éolien d’envergure
A cheval sur la frontière entre les cantons de Neuchâtel et de Berne, un groupe d’agriculteurs s’est lancé dans le projet des Quatre bornes, qui vise à bâtir un parc de neuf éoliennes.
Valoriser au mieux les ressources naturelles, c’est l’objectif de tout agriculteur. Et c’est aussi cet état d’esprit qui a motivé les exploitants à l’origine du projet des Quatre bornes, sur les communes de Val-de-Ruz (NE) et Sonvilier (BE). «Le vent qui souffle ici ne sert pour l’instant qu’à nous décoiffer», sourit Denis Jacot, agriculteur au Pâquier (NE).
Historique du projet Tout a commencé en 2006 lorsque une dizaine d’agriculteurs de la région de La Joux-du-Plâne (NE), accompagnés de deux personnes non exploitantes, ont décidé de financer eux-mêmes les premières mesures de vent en vue de la construction d’un parc éolien. «Les résultats ont été très positifs», explique Jean-Michel Christen, l’un de ces agriculteurs. Trois ans plus tard, les initiateurs s’organisent et fondent la société à responsabilité limitée (Sàrl) Eoliennes La Joux-du-Plâne – L’Echelette (EJDPE). Porteuse du projet, cette structure compte aujourd’hui 23 membres individuels, dont une vingtaine d’agriculteurs, ainsi que les deux communes concernées.
«Tous les propriétaires et exploitants des parcelles qui doivent accueillir une éolienne font partie de la Sàrl», précise Jean-Michel Christen, qui préside l’EJDPE. «Nous sommes ceux qui vivront au plus près des éoliennes.»
Les porteurs du projet ont signé une convention avec la société Groupe E Greenwatt. «Planifier un parc éolien est si complexe que nous avions besoin du soutien d’un développeur», explique Roger Stauffer, secrétaire de l’EJDPE.
Ces dernières années, toute une série d’études ont été réalisées pour définir l’impact du projet sur la biodiversité et l’être humain.
Au moment où le parc pourra effectivement voir le jour, il est prévu de fonder une société anonyme pour l’exploiter. L’EJDPE détiendra environ 20% des parts de cette société et le reste reviendra à Groupe E Greenwatt. «Nous avons aussi dans l’idée de lancer un financement participatif ouvert aux citoyens», relève Stéphane Ducommun, agriculteur et membre de l’EJDPE.
Roger Stauffer abonde et précise: «Nous ne sommes pas fermés et pouvons aussi ouvrir l’actionnariat à d’autres investisseurs potentiels, comme la société des forces électriques de La Goule ou les Forces motrices bernoises (BKW)».
Un parc de neuf machines Le projet vise la construction de neuf machines: trois sur sol neuchâtelois et six sur sol bernois. «Initialement, nous en prévoyions dix, mais le projet a évolué et nous avons renoncé à l’une d’entre elles», explique Jean-Michel Christen. Au final, le parc des Quatre bornes devrait produire quelque 63 millions de kWh par an, ce qui couvrirait environ 80% de l’électricité totale consommée sur les deux communes.
Les porteurs du projet sont convaincus des avantages de l’éolien, particulièrement peu gourmand en surface. Alors que l’hydraulique et le solaire, principales sources d’énergie électrique renouvelable en Suisse, sont moins productifs en hiver, c’est l’inverse pour l’éolien. «Nous sommes convaincus par les énergies renouvelables», explique Stéphane Ducommun. «Nous nous chauffons au bois, nous avons presque tous des panneaux solaires sur nos toits.»
«C’est aberrant de demander aux agriculteurs de réduire leurs émissions alors qu’on bâtit des centrales à mazout ou au gaz pour pallier d’éventuelles pénuries», poursuit Roger Stauffer. «Dans le contexte actuel, les projets tels que le nôtre ne devraient pas rencontrer autant d’embûches. Après dix-sept ans, nous n’avons toujours rien pu construire!» Et le secrétaire de l’EJDPE de préciser: «Avec les prix actuels de l’énergie, l’éolien est très rentable et contribue au fonds fédéral pour les énergies renouvelable davantage qu’il n’est subventionné».
Avantages agricoles Le projet des Quatre bornes financera, à hauteur de 80%, la réfection de la route communale qui traverse la région. «Nous profiterons de l’arrivée de l’internet à haut débit avec la pose de la fibre optique. Le projet prévoit également de supprimer des poteaux électriques en enterrant certaines lignes actuellement aériennes», souligne Jean-Daniel Boss, membre de l’EJDPE. «Il s’agit d’une diversification intéressante pour nos exploitations et les avantages dépassent largement les inconvénients.»
Selon les expériences acquises au parc éolien du Mont-Soleil, le plus grand de Suisse, avec 16 éoliennes, le bétail bovin ne réagirait pas aux mouvements des pales ni aux déplacements de leurs ombres. Les chevaux peuvent avoir besoin d’un temps d’adaptation, mais s’y habituent très vite. Enfin, aucun problème de courants vagabonds n’a été rapporté suite à la construction du parc du Mont-Soleil.
Le projet des Quatre bornes suit son cours du côté neuchâtelois alors que, côté bernois, les initiateurs espèrent que la population de Sonvilier pourra bientôt à nouveau se prononcer sur ce projet. Pour l’heure, impossible de préciser quand il pourrait se concrétiser. «Il y a vingt ans, on pensait que cela nous prendrait cinq ans», sourit Stéphane Ducommun, tout en restant positif. «Aujourd’hui, on sent que le vent politique est plus favorable.» Vincent Gremaud, le 21 avril 2023.
______________________________________ UN VRAI PARCOURS DU COMBATTANT
Dans un premier temps, le projet des Quatre bornes était fortement soutenu par la population locale.
Côté neuchâtelois, ce soutien a été mesuré en mai 2014, lors d’une votation populaire. Ce jour-là, le peuple neuchâtelois a refusé à plus de 60% une initiative visant à stopper la progression de l’éolien sur les crêtes du canton et accepté à plus de 65% un contre-projet proposé par le Grand Conseil. Ce dernier a inscrit dans la Constitution cantonale les éléments clés de la politique énergétique neuchâteloise et listé les cinq sites retenus pour l’implantation de parcs éoliens, dont celui de La Joux-du-Plâne. A noter que les habitants de la Commune de Val-de-Ruz ont accepté ce texte avec un score supérieur à la moyenne cantonale.
Côté bernois, la Commune de Sonvilier a organisé, en automne 2015, un vote consultatif sur le projet des Quatre bornes. Par 295 voix contre 100, la population du village bernois avait plébiscité le projet. «Malheureusement, ce vote n’était que consultatif», commente Jean-Michel Christen, président de la Sàrl Eoliennes La Joux-du-Plâne – L’Echelette (EJDPE).
En effet, le 27 septembre 2020, cette même population a refusé, par 289 voix contre 285, le Plan de quartier qui lui était proposé et qui aurait fait office de permis de construire. «C’était une surprise pour nous. Il faut dire que les opposants ont fait une campagne intensive, avec l’appui décisif d’un ancien champion de ski de la région qui s’est construit un manoir en pleine zone agricole», précise Jean-Michel Christen. «Il se trouve pourtant à plus d’un kilomètre de la première éolienne de notre projet.»
En février 2022, un groupe de citoyens de Sonvilier a déposé une initiative demandant un nouveau vote sur le projet. Le Conseil municipal a déclaré cette initiative recevable, sans que cette décision ne fasse l’objet d’une opposition. Suite à un échange de courrier avec l’exécutif, l’association Sauvez l’Echelette a déposé un premier recours, considéré comme irrecevable par la préfecture. «Depuis, les opposants ont à nouveau fait recours», regrette Roger Stauffer, secrétaire de l’EJDPE. VG, le 21 avril 2023
______________________________________ DES MESURES DE COMPENSATION ÉCOLOGIQUE
Les éoliennes peuvent déranger la faune sauvage. Concernant le projet des Quatre bornes, les études d’impact ont mis en évidence les risques que représente le parc éolien pour diverses espèces. L’une des plus concernées est l’alouette des champs, dont une population occupe le vallon de La Joux-du-Plâne. «C’est assez rare de trouver encore des alouettes de champs dans les régions fourragères de montagne», explique Alain Lugon, directeur du bureau d’études en écologie appliquée l’Azurée. «Avec l’intensification des prairies de fauche, cet oiseau a, par exemple, disparu du Val-de-Travers et de la Vallée de la Sagne et des Ponts-de-Martel.»
Retards de fauche et céréales fourragères Afin de maintenir la population d’alouettes malgré les éoliennes, des mesures de compensation sont proposées aux exploitants du vallon. «Ces mesures ont été élaborées en collaboration avec les agriculteurs», précise le biologiste, qui relève l’implication des producteurs concernés. «Elles ne sont pas contraignantes, mais se veulent suffisamment incitatives, grâce à des compensations versées par la société exploitant les éoliennes.»
Les agriculteurs qui accepteront de retarder la fauche de certaines prairies au 10 juin, 20 juin ou 30 juin toucheront 200 fr/ha, 400 fr/ha, respectivement 600 fr./ha. Cette contribution ne s’applique naturellement pas aux surfaces de promotion de la biodiversité.
L’implantation de céréales fourragères (avoine ou orge), autrefois fréquentes à cette altitude, donnera droit à une contribution de 1000 fr./ha, pour autant que l’exploitant mette en place des patches, selon les recommandations de la mesure développée par IP-Suisse.
Enfin, le long des murs bordant une prairie de fauche, le fait de laisser une bande de 50 cm qui ne sera fauchée que lors des regains donnera droit à une prime de 1 fr./m et par an.
«Nous avons signé des contrats d’engagement pour 150 ha de prairies de fauche retardée, 10 ha de céréales et 5 km de murs», indique Alain Lugon.
Pour limiter le nombre de collision avec des rapaces, notamment les milans, les éoliennes seront arrêtées durant trois jours lors des fauches. En effet, durant cette période, les rapaces sont attirés par les campagnols qui sortent en surface.
Autres actions en faveur de la faune Le projet prévoit également d’équiper les éoliennes d’un système de détection des ultrasons émis par les chauves-souris. En cas de grosse activité de ces chiroptères, les machines sont mises automatiquement à l’arrêt. «Cela arrive généralement lorsqu’il fait chaud et sec», explique Alain Lugon. «Les vents sont alors faibles et cela n’engendre pas de réelle perte de rendement des éoliennes.»
De même, un radar va quantifier les flux des oiseaux migrateurs et stopper les pales à partir d’un certain seuil d’intensité migratoire. VG, le 21 avril 2023. 
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