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Un sentiment de solitude face à son projet


Au moment de mettre à l'enquête leur projet de construction agricole, les exploitants se rendent souvent compte de la complexité et de la longueur de la procédure. C'est aussi le moment où ils découvrent les oppositions du voisinage, une étape pas évidente à traverser.


Dossier_2622_Construction


La famille Wüthrich n’a pas été épargnée par les soucis qui encadrent un projet de construction. Fabienne et Stefan sont arrivés en 2015 avec leurs 3 enfants sur l’exploitation de François Muller à Cressier (FR). Si les deux hommes se sont d’abord associés, l’objectif à terme était de laisser le domaine aux nouveaux arrivants. Il était prévu que ces derniers reprennent l’étable des 65 vaches laitières, située en dehors du village, et les 35 ha de terres et ajoutent sur le site une villa et un hangar (une zone pour les machines et un élevage de 4000 poussins bios). Dans le pré attenant, ils souhaitaient encore installer 8 maisonnettes à 500 places pour la deuxième phase de l’engraissement des poulets. De son côté, l’ancien propriétaire prévoyait de changer d’affectation l’ancienne ferme afin de créer un logement près de l’étable. Ainsi, les projets de l’un dépendent de la réalisation de l’autre.
 
Flot d’oppositions
«Nos premières discussions remontent à 2015 mais nous avons pris le temps de monter notre dossier et nous avons pu envoyer l’avant-projet en automne 2018», explique Fabienne Wüthrich. Au printemps 2019, ils ont reçu les réponses des services. Les retours étaient positifs mais le Service de la mobilité demandait des adaptations.
Le temps de faire ces changements, le dossier est mis à l’enquête début novembre 2019, soit une année plus tard. Et là, c’est la surprise ou la déception car leur projet soulève 20 oppositions dans le village! Les raisons évoquées: le bruit, le trafic, les odeurs, etc. «Nous avons eu de la peine à entendre certains arguments car le site est en dehors du village et peut être accessible par une route qui n’affecte aucun villageois. Et pour l’odeur, il faut rappeler que les animaux sont vingt-et-un jours à l’intérieur avant de rejoindre des maisons en plein air», souligne Fabienne Wüthrich. Et son mari d’ajouter: «Pour les poulets, nous attendons environ 15 camions par an alors que nous pourrions avoir un camion par jour si nous ne livrions pas notre lait au fromager du village, les gens ne se rendent plus compte de ce qu’est l’agriculture».

Stefan Wüthrich et François Muller sont allés trouver chaque opposant et onze personnes ont décidé de se rétracter. Le projet est parti en mars 2020 pour consultation dans les divers services. Et là c’est une deuxième surprise pour la famille qui constate qu’un service peut prendre le temps qu’il lui faut pour répondre. «C’est en juin 2021, plus d’une année après, que le dernier service a donné son retour. Nous avions aucune nouvelle et j’ai finalement appelé chaque semaine», témoigne l’exploitante.
 
Des étapes pesantes
La préfecture a contacté les 9 derniers opposants en été 2021 et 5 ont choisi de se rétracter. Au 1er octobre, la famille a reçu la permission de construire de la préfecture, «aussi après quelques téléphones» mais elle a dû attendre encore trente jours pour voir si les derniers opposants souhaitaient aller jusqu’au tribunal. «Personne ne s’est manifesté finalement. Je regrette que les gens puissent faire des oppositions non justifiées sans que cela ne leur coûte», relève Stefan Wüthrich qui ajoute: «Ils ne se rendent pas compte de ce que cela implique pour une exploitation. D’un point de vue financier mais aussi émotionnel. C’est beaucoup de soucis et de choses qui trottent dans la tête».

Le couple a eu l’impression qu’ils étaient relativement seuls face à leur projet. Ils auraient aimé pouvoir se reposer sur un service qui les aurait aidés à faire avancer la procédure mais cela n’a pas été le cas. Ils tiennent par contre à remercier Micarna SA car les contrats étaient établis depuis 2016 et la firme ne les a pas remis en question. Plusieurs personnes dans le village leur ont aussi témoigné du soutien. La famille a même pu maintenir le dialogue avec certains opposants mais il reste une minorité de personnes avec qui les relations sont plus ambiguës.
Sarah Deillon, 1er juillet 2022
 
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«IL FAUT PROUVER LA NÉCESSITÉ DU PROJET»
 

Selon les projets, les procédures de validation prennent plusieurs années. Quelques explications du président de suissemelio JOËL BADER qui est aussi le responsable du secteur de l’amélioration des structures au sein de la section agriculture de Grangeneuve.

> Les projets de construction sont aujourd’hui confrontés à de plus en plus d’oppositions. Qu’est-ce qui a changé selon vous?
Cela n’a pas changé d’un coup. Le phénomène a pris de l’ampleur petit à petit depuis dix à quinze ans. Il suffit parfois d’un seul opposant ou d’une personne qui a de l’argent pour que la situation se complique. Les impacts des projets actuels sont moindres par rapport aux anciennes réalisations car ils incluent des mesures pour limiter les nuisances, par l’installation de ventilateurs par exemple, mais une partie de la population est mal renseignée et a peur des constructions. Un projet pour des bovins peut être réglé en quatre à six mois alors que pour une production hors-sol, cela peut durer plutôt cinq à dix ans.
 
> Quels sont les motifs les plus fréquemment évoqués?
Le trafic, l’odeur et le visuel sont les éléments qui dérangent le plus. Ce ne sont toutefois pas ces aspects qui ressortent des dossiers car les réponses sont faciles à donner. Les opposants vont plutôt parler d’infrastructure routière insuffisante et d’impact négatif sur le paysage ou remettre en question la nécessité du marché et de ce fait de la construction. De même que la nécessité de mettre une production qui ne consomme pas de fourrage dans une zone herbagère. Les opposants cherchent des angles d’attaque, n’importe lesquels, qu’ils détaillent dans un document de 40 pages auquel doit répondre un avocat.
 
> Et au niveau des services?
Il peut s’agir des mêmes motifs. C’est un casse-tête permanent car si l’on construit trop près du village, les habitants s’opposent et si l’on construit à l’extérieur du village, cela peut déranger d’autres acteurs car il faut prévoir des infrastructures supplémentaires. Chaque projet doit ainsi être un ensemble de compromis!
 
> Que faut-il mettre en avant dans le dossier de mise à l’enquête?
Il faut avant tout pouvoir prouver que l’on a besoin de la structure. On ne va pas gaspiller du terrain pour une exploitation qui n’a pas d’avenir! L’aménagement du territoire répond à une certaine logique. Comme la vache mange de l’herbe, il est normal qu’elle sorte de la zone village. On admet ensuite qu’elle a besoin d’un toit et on autorise la construction de l’étable en dehors du village. Il faut ensuite traire cette vache deux fois par jour et surveiller les vêlages. L’ajout d’une habitation peut alors se justifier. Mais après, pourquoi l’agriculteur n’aurait-il pas le droit à une terrasse? La limite de la nécessité n’est pas facile à placer. Avec la Loi sur l’aménagement du territoire (LAT), chaque construction en zone agricole est censée être une exception. Et les gens des services sont toujours mieux informés, ils pourraient suggérer la pose d’un robot de traite au lieu de la construction de la maison. Et pour un projet hors-sol la nécessité est encore plus difficile à prouver.
 
> Quels sont vos conseils pour les agriculteurs?
Même si l’utilité du projet peut être difficile à prouver, il ne faut pas fermer les portes d’entrée de jeu. Je conseille aux exploitants de se renseigner auprès de collègues dans la même situation. Je recommande également de faire une étude préalable. Les dossiers sont généralement plus vite acceptés par la suite. Il est aussi essentiel de se préparer au fait que cela peut prendre du temps. Si l’on fait une demande pour une porcherie, il ne faut pas espérer avoir les cochons l’année d’après, ni la suivante.
 
> Et des conseils pour que les bâtiments soient acceptés?
Je pense qu’actuellement ce ne sont pas les projets en soi qui sont remis en question, sauf parfois au niveau du visuel. En ce qui concerne la fonctionnalité du travail ou des équipements, les dossiers sont plutôt complets et bien pensés. Aujourd’hui, il existe beaucoup de professionnels sur le marché qui dispensent de bons conseils. Les exploitants doivent parfois procéder à des adaptations mais ils ont généralement déjà réfléchi aux postes qui pourraient poser problème et pris des mesures, comme pour la réduction des odeurs ou des émissions d’ammoniaque.
 
> Les agriculteurs sont souvent étonnés du temps que prennent les procédures. A quoi est-ce dû?
Il s’agit essentiellement d’une question de ressources et de temps à disposition. La plupart des dossiers sont très bien ficelés mais le volume à traiter dans les services a énormément augmenté. Nous réceptionnons plus de dossiers, avec plus de complexité et pour lesquels il y a toujours plus de réponses à donner.
 
> Quelles sont les frustrations les plus souvent perçues par le monde paysan?
Les agriculteurs peinent à comprendre qu’un bâtiment ait été autorisé pour une fonction donnée et qu’il ne soit pas possible de passer d’une production à une autre. Si le permis de construire a été délivré pour une étable de bovins, il n’est pas possible d’y loger des poulets deux ans plus tard. Les agriculteurs font parfois le choix d’une halle multitâche et sont prêts à changer de production si les besoins du marché le suggèrent. Ils essaient ainsi d’être proactifs et ne comprennent pas que ce ne soit pas autorisé. Une activité de meunerie commencée à la ferme de manière artisanale et pour ses propres besoins et qui s’étend un peu trop est un autre exemple.
 
> N’est-il toutefois pas plus sensé qu’un exploitant réceptionne les céréales de ses collègues plutôt que chacun équipe sa ferme?
Tant que les produits proviennent de la région, oui. Mais la LAT est prévue pour empêcher les constructions en zone agricole. On peut autoriser beaucoup de choses mais on ne peut pas aller contre la loi sous prétexte de l’innovation. Il y a d’ailleurs aussi une question de concurrence déloyale avec les autres corps de métiers.
 
> Quelles sont les perspectives d’avenir des constructions d’après vous?
Les gens aujourd’hui sont beaucoup mieux informés. Ils regardent la télévision, écoutent des reportages, cherchent des informations sur internet. Il faut savoir qu’une tranche importante de la population est très au courant des faits agricoles. Je pense dès lors que ce ne sera pas moins complexe d’ériger un nouveau bâtiment à l’avenir. Les dossiers devront être costauds et bien ficelés.
Mais je suis de nature optimiste et je dirais aux exploitants qu’il ne faut pas baisser les bras! L’agriculture a une place légitime en Suisse et il faut en être conscient. Les producteurs sont de réels partenaires pour le monde économique et les projets de construction sont, pour la plupart, réellement nécessaires. Mes conseils sont de tâter le terrain au maximum pour connaître les besoins du marché, d’anticiper les projets et les éventuelles oppositions, de faire une demande préalable pour solidifier le dossier et surtout de se prévoir du temps!
Propos recueillis par Sarah Deillon, 1er juillet 2022
 

 

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