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Dossier44_avortement_enzootique_mr_061123

Une redoutable bactérie


Deux éleveurs romands ont été confrontés à la chlamydiose, une maladie peut-être plus répandue qu’il n’y paraît. 


«Quand j’ai constaté des avortements quotidiens, avec des fœtus expulsés juste quelques semaines avant le terme, j’ai immédiatement envoyé des échantillons de placentas et de fœtus au laboratoire.» Jules Dougoud*, éleveur ovin professionnel installé en Suisse romande, a été confronté, il y a quelques années, à l’avortement enzootique des brebis et des chèvres aussi appelé chlamydiose, une maladie à mauvaise réputation, ce qui explique pourquoi il restera anonyme. Selon le Service consultatif et sanitaire pour petits ruminants (SSPR), Jules Dougoud a pourtant agi juste. Des avortements dans la deuxième moitié de la gestation - surtout peu avant la mise bas - sont caractéristiques. Seule une analyse peut exclure d’autres causes éventuelles.


Suite à la confirmation du laboratoire, Jules Dougoud s’est donc résolu à administrer des antibiotiques à large spectre à l’ensemble de son troupeau. «Un traitement ne peut toutefois prévenir totalement l’avortement si le germe a déjà infecté le placenta et occasionné des lésions importantes», prévient le SSPR. Car, le traitement antibiotique est justifié mais ne peut être considéré comme une mesure de lutte stratégique: il permet une réduction des avortements mais n’est pas en mesure d’interrompre la chaîne infectieuse, ni l’excrétion des Chlamydia. De plus, si la mise bas n’a pas encore eu lieu deux semaines après le premier traitement, il va falloir le répéter au même intervalle, jusqu’à la naissance. «Contraignant et coûteux», réagira un autre éleveur, tout aussi anonyme, qui a, lui, renoncé à ce schéma pour se rabattre sur une seule vaccination.


Beaucoup se cachent

Alors que cet autre éleveur déplore une perte de 50 à 75% de ses agneaux, l’année de l’infection, Jules Dougoud estime avoir vu naître prématurément 20 à 30 agneaux, ceci sur un troupeau relativement grand à l’échelle suisse. Sa réaction rapide a-t-elle permis de limiter les pertes ou est-ce le fait que certaines de ses bêtes étaient déjà immunisées? La question demeurera sans réponse. "A mon avis, 90% des éleveurs ont déjà été confrontés à cette bactérie, sauf que, comme ces pertes sont à nos frais et qu’elles péjorent notre image, beaucoup se cachent. Avec les analyses, toutefois, on peut réagir plus vite", encourage Jules Dougoud qui, dans un deuxième temps, a choisi de vacciner tout le troupeau, particulièrement les jeunes non immunisées: une opération selon lui moins coûteuse que les pertes.


Un vaccin inactivé pour moutons est, en effet, autorisé en Suisse. Cependant, le SSPR met en garde sur le fait qu’il n’offre pas une protection intégrale du troupeau mais permet néanmoins de circonscrire le préjudice économique. Si l’on observe encore des avortements, la quantité de germes excrétés s’en trouve alors réduite. Un second vaccin, vivant cette fois, n’est plus autorisé, depuis 2011. Toutefois, certains vétérinaires importent encore, avec une autorisation exceptionnelle de Swissmedic, ce produit qui, selon le SSPR, ne doit pas être appliqué sur des animaux en gestation.


Placentas rose saumon

"Lors des avortements, j’ai vu des placentas avec les "roses" saumon au lieu de rouge sang", poursuit Jules Dougoud. En cas de chlamydiose, l’examen du placenta montre, en effet, une infection sévère, précise le SSPR. Les fœtus avortés sont en bon état, signe qu’ils ne sont pas morts longtemps avant l’avortement. Si la mère présente rarement des signes comme des douleurs abdominales ou des écoulements vaginaux, une rétention du placenta et une infection utérine avec un écoulement brunâtre sont parfois signalés. "Il arrive souvent que des agneaux ou cabris naissent vivants mais chétifs. Il ne faut surtout pas les élever!", partage encore Jules Dougoud, dont le troupeau semble désormais sain, si tant est que ce soit possible. "Les nettoyures doivent être absolument retirées et jetées avec les déchets carnés. Je sais, c’est compliqué, mais c’est à ce prix qu’on limite les risques." Jules Dougoud choisit aussi très soigneusement ses béliers. "J’ai de la chance, en France, les animaux sont régulièrement testés et l’élevage qui me fournit n’a pas été touché."


"A mes yeux, peu d’argent est investi dans la lutte contre les épizooties des petits ruminants. Pourtant, elles sont aussi en mesure de faire de gros dégâts", constate Jules Dougoud qui, afin de protéger sa famille, s’est soumis à des tests sanguins heureusement négatifs. Le poids moral d’une telle infection n’est pas non plus à sous-estimer. "Au plus fort de la crise, nous avons failli abandonner, finissant par croire que nous ne savions pas y faire!", ira jusqu’à confier l’autre éleveur.

 

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 Cycles d'infection spécifiques 

 
Cette année, en Suisse, le bulletin des nouveaux foyers d’épizootie publié par l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires met en lumière un seul cas d’avortement enzootique des brebis et des chèvres sur un ovin, ceci dans la semaine du 2 au 8 octobre 2023, à Shänis (SG). Mais comme le confirme le graphique ci-dessus, la maladie apparaît lors de la saison de la mise bas qui, cette fin d’année, commence à peine.

La chlamydiose est classée épizootie à surveiller, donc à déclaration obligatoire. En cas d’avortement, des Chlamydia sont excrétées en masse avec le fœtus avorté, les arrière-faix et les lochies. La transmission s’effectue oralement par la nourriture, l’eau et la litière contaminées. Si les animaux sont en contact étroit, une transmission par l’air est aussi possible. En cela, le mélange des troupeaux à l’alpage peut s’avérer problématique. La transmission vénérienne et la transmission via le lait ne jouent qu’un rôle mineur d’un point de vue épidémiologique.

Tempête d’avortements la deuxième année
Si une femelle non portante est infectée ou si elle est infectée au cours de la deuxième moitié de la gestation, l’avortement ne se produit qu’au cours de la saison de mise bas suivante. En cas de contamination d’un troupeau, la première année, on dénombre généralement un faible nombre d’avortements. Seuls les animaux infectés au début de la gestation sont concernés. Les animaux infectés qui ne sont pas gestants ou qui sont en gestation avancée ne présentent aucun signe, car l’infection restera latente jusqu’à la prochaine gestation.

La deuxième année, une épidémie se produit car beaucoup plus d’animaux sont infectés. Les animaux qui ont avorté l’année précédente excrétaient Chlamydia, propageant l’infection à tout le troupeau. Lorsqu’un troupeau a surmonté la maladie, les avortements semblent essentiellement se limiter aux remontes ou aux animaux nouvellement achetés. Les animaux avortent une fois mais peuvent encore mettre bas par la suite, bien qu’ils puissent rester porteurs de l’infection.

Une bactérie tenace
Selon le SSPR, pour prévenir l’avortement enzootique, éviter les achats d’animaux ou s’assurer qu’ils proviennent d’exploitations sans avortements. Privilégier les animaux juvéniles non portants. Limiter les contacts avec d’autres troupeaux et désinfecter instruments et véhicules. Dans les zones à risques, la vaccination est recommandée. Eviter d’utiliser pour l’élevage les jeunes animaux sans vitalité et les femelles ayant avorté comme nourrices. Faire examiner rapidement les avortements pour éviter une propagation et vérifier la présence d’autres germes responsables dans les cas consécutifs. Tenir un registre des saillies, des mises bas et avortements pour mieux surveiller la situation. Les informations quant à la durée de vie de la bactérie dans l’environnement divergent, bien qu’elle semble favorisée par l’humidité: on évoque de 2 à 3 jours jusqu’à plusieurs semaines. Aucune indication spécifique n’est dispensée à propos de la viande.
 

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 Zoonose rare mais dévastatrice


La mise bas d’un agneau ou cabri ou l’avortement d’un fœtus infecté libère d’importantes quantités de Chlamydia abortus. Les personnes aidant à la mise bas ou manipulant le matériel abortif risquent de s’infecter puis de développer des symptômes grippaux. "Les femmes enceintes, très vulnérables, peuvent subir des fausses couches suite à l’infection et devraient éviter le contact avec des troupeaux durant les saisons de mise bas", informe le SSPR. Le lait des exploitations infectées peut aussi être contaminé.

Un cas sérieux
Une étude de cas (Open forum infectious diseases, octobre 2022) expose l’histoire d’une femme suisse de 33 ans vivant dans une exploitation ovine de 200 moutons. En santé et enceinte de son deuxième enfant (19 semaines), elle a été transférée en soins intensifs avec un choc septique et un très faible taux de plaquettes dans le sang. Deux jours plus tôt, elle s’était présentée dans un hôpital avec de la fièvre, des douleurs au flanc droit et à plusieurs articulations. Les tests pour diverses infections se sont avérés négatifs, mais une analyse a révélé une réaction croisée avec une souche de Chlamydia suggérant une infection par C. abortus. Cette suspicion a été confirmée par un PCR. L’infection a donc été liée à l’exposition de la patiente aux moutons. Le traitement a été modifié pour inclure de la doxycycline, ce qui a conduit à une récupération clinique rapide de la patiente qui a toutefois perdu son enfant. Décrites comme très rares (Emerging infectious diseases, mars 2020), les infections à Chlamydia abortus chez la femme enceinte nécessiteraient souvent une hospitalisation en soins intensifs et seraient même qualifiées de dévastatrices.
Martine Romanens, le 3 novembre 2023


 

 

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