Les déjections canines ou les déchets abandonnés dans les prés peuvent causer des problèmes de santé aux bovins. Un important travail de sensibilisation s’impose.
Le bonheur est dans le pré, dit le poème. Mais tout dépend de ce que l’on y trouve. Lorsque des déchets ou des excréments de chiens sont abandonnés dans les prés, ou lorsque des petits animaux sont accidentellement fauchés et se retrouvent dans le fourrage, de nombreux problèmes de santé peuvent survenir chez les bovins et causer des pertes financières importantes.
Agriculteur à Forel, André Massard a eu de la peine à se remettre de la perte de Branda, une vache de 13 ans, la «mémé du troupeau» à laquelle il était très attaché. La vache a été atteinte par la néosporose, une maladie causée par un parasite pouvant se trouver dans les excréments de chiens, et a dû être euthanasiée. Auparavant, l’agriculteur a vécu une véritable série noire, entre septembre 2014 et juillet 2015.
La faute à Médor
C’est tout d’abord Milka, une vache d’une dizaine d’années qui avorte après quatre mois de gestation. Vient ensuite le tour de Finette, une jeune vache qui portait son premier veau. Suivent Bonbon et Branda. «Les premiers cas ne m’ont pas alarmé, mais quand ça a été le tour de Branda, nous avons fait analyser le fœtus», indique l’éleveur. Verdict: néosporose.
L’éleveur en parle autour de lui et constate que plusieurs collègues du village sont également concernés. «Le problème, c’est que les analyses de la néosporose ne sont pas remboursées et il en coûte au moins 70 francs à chaque fois. Du coup, les paysans ne font pas forcément la recherche de cette maladie. Or, au niveau de l’Office vétérinaire cantonal, on nous répond qu’il n’y a pas assez de cas de néosporose pour entreprendre une campagne de prévention, ou pour que cela soit pris en charge par la caisse des épizooties. Il est donc important d’en parler, pour que les agriculteurs élucident ces cas et puissent éradiquer la maladie dans leur troupeau.»
Il n’existe en effet ni vaccin ni traitement contre la néosporose, qui se transmet à la descendance et crée donc des «lignées» de vaches malades. «Eliminer cette maladie une fois qu’elle est dans le troupeau demande de nombreuses analyses», confirme Maria Welham Ruiters, du Service sanitaire bovin. «Les chiens ou renards peuvent s’infecter en mangeant les arrière-faix, ces derniers doivent donc être éliminés», recommande-t-elle. Ces dix dernières années, une cinquantaine de cas annuels ont été signalés.
Conséquences financières importantes
Les cas de néosporose restent rares, mais leurs conséquences financières sont importantes, le bétail ne pouvant pas toujours être assuré contre ces accidents. «Actuellement, ce genre d’intoxication alimentaire est indemnisé au cas par cas, mais nos conditions seront prochainement revues et ces cas ne seront plus pris en charge», indique par exemple l’assurance pour animaux Epona. Propriétaire de 26 vaches de race Brown Swiss, l’éleveur de Forel constate aujourd’hui le manque à gagner, un an après cette série d’avortements. «Lorsqu’une jeune laitière prometteuse perd son veau, doit être envoyée à la boucherie et qu’on en retire à peine 1800 francs, c’est difficile à admettre», avoue-t-il.
Travail de sensibilisation
Seule option: éliminer la source du problème. L’agriculteur a décidé de sensibiliser les promeneurs: «Je prends le temps de discuter et de les informer sur les conséquences des déjections canines pour nos vaches. Il y a des propriétaires de chiens très respectueux. Parfois, ça passe moins bien. Or, laisser son chien déféquer au milieu des prés sans gêne, outre le risque pour les bovins, c’est aussi de l’irrespect! Les prés sont privés, au même titre que les pelouses des villas», s’exclame l’agriculteur, qui aimerait que les cabinets vétérinaires fassent aussi de la sensibilisation auprès des propriétaires de chiens. Dans sa «mission», André Massard est aidé par sa fille Marion qui a réalisé un diaporama sur le problème de la néosporose et l’a fait circuler largement autour d’elle, y compris auprès des clubs cynologiques. «C’est vraiment un travail de sensibilisation de longue haleine. Je me heurte parfois à des personnes qui me disent qu’étant donné que l’agriculture pollue, elles ont aussi le droit de polluer les champs», relève-t-elle avec dépit. Heureusement, entre-temps la situation s’est améliorée pour la famille Massard.
Déchets en hausse
Mais ce n’est pas tout. Les déchets abandonnés le long des routes finissent bien souvent dans les prés. Canettes, bouteilles de verre, emballages d’aliments, sachets plastique ou encore paquets de cigarettes se retrouvent alors broyés avec le fourrage et peuvent avoir des conséquences importantes. Des débris coupants qui traversent la paroi de l’estomac peuvent causer des abcès ou une péritonite dont l’issue est souvent fatale.
«Nous sommes peu concernés, car nous avons peu de prés en bord de route», réagit André Massard. «Mais certains collègues sont vraiment touchés. Chez l’un, une vache avait avalé un clou de 10 cm de longueur. Chez un autre, un bout de la tringle d’un capot de voiture! Le pire, ce sont les plastiques durs et l’aluminium, car on ne peut pas les récupérer avec un aimant dans la panse et les débris peuvent être particulièrement piquants après passage dans la mélangeuse».
«Nous vivons cela tous les jours. Chaque semaine, je suis ainsi confronté à 2 ou 3 vaches ayant avalé un clou», constate Pascal Furer, vétérinaire à la Clinique du Vieux-Château à Saint-Imier, régulièrement contacté par des agriculteurs qui constatent que leurs vaches ne mangent plus correctement. Lorsque le vétérinaire diagnostique l’ingestion d’un corps étranger, les possibilités sont restreintes: espérer que le corps encapsule le déchet et traiter l’animal aux antibiotiques, opérer l’animal ou l’euthanasier en dernier recours.
«Une opération n’est pas sans conséquences et ne réussit pas toujours», constate malheureusement Maria Welham Ruiters.
Quant à Pascal Furer, il regrette: «Les gens balancent leurs déchets sans scrupules, mais les agriculteurs et les cantonniers ne voient pas tout et le nombre de vaches blessées augmente. C’est un phénomène de société qui pourrait être évité».
Les panneaux informatifs, censés avoir un rôle préventif, ne semblent pas toujours les bienvenus. Deux ont été abîmés à Forel. Pour Marion Massard, «On constate clairement une augmentation des déchets depuis que la taxe au sac a été introduite par chez nous. Certains jettent des emballages, des canettes, mais d’autres jettent carrément des sacs entiers, surtout en forêt», indique la jeune fille. Les machines peuvent aussi pâtir des objets abandonnés. Sans parler du temps et du coût que représente, pour le paysan, la chasse aux déchets dans les prés.
Elise Frioud, 26 août 2016
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Attention aux cadavres
Déchets, crottes mais également cadavres peuvent entraîner des problèmes de santé chez les bovins. En Thurgovie, ce printemps, un paysan a perdu la moitié de son troupeau, soit une soixantaine de vaches, à cause de la toxine botulique, une neurotoxine produite par le cadavre d’un animal en décomposition présent dans le fourrage. Sans doute la faute à un renard, un chat ou un lapin tué lors de la fauche du pré et passé inaperçu. Dans le même canton en juin, ce sont 200 moutons qui ont péri. «Des cas d’une telle ampleur impressionnent, mais ils restent très rares», confie Pascal Furrer, qui conseille aux agriculteurs d’être particulièrement attentifs et de faucher de préférence le matin.
ÉF, 26 août 2016
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«LE PROBLÈME DU LITTERING PERSISTE ET COÛTE»
Elle n’a pas l’air commode et elle insiste: «Je préfère l’herbe aux déchêts». Mais c’est son rôle: la vache de la pancarte développée par l’Union suisse des paysans (USP) et la Communauté d’intérêts Pour un monde propre est là pour sensibiliser aux conséquences du littering, l’abandon de déchets, en campagne. On trouve plusieurs de ces pancartes ou d’autres similaires au bord des routes. Depuis plusieurs années, les deux organisations s’engagent en effet pour réduire l’abandon de déchets à travers ses affiches, ses journées nationales de nettoyage (Clean Up Day) et d’autres moyens de sensibilisation.
En mars 2013, Jacques Bourgeois, directeur de l’USP et conseiller national, a d’ailleurs déposé une initiative parlementaire demandant une base nationale pour instaurer une amende minimale afin que les contrevenants prennent conscience de la nature de leur acte. Le Conseil national a rejeté, au mois de juin dernier, la proposition d’application de cette initiative. Celle-ci prévoyait une adaptation de la Loi sur la protection de l’environnement qui aurait considéré l’élimination de déchets comme une infraction. Cette dernière aurait alors été passible d’une amende de 100 francs au minimum, équivalent à ce que l’on risque si l’on est pris en flagrant délit de téléphone en conduisant.
«Je déplore cette décision, exprime Jacques Bourgeois, car il y avait une majorité au sein de la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie (CEATE) qui soutenait l’initiative. D’autant qu’à mon sens la répression se justifie quand l’éducation et la formation ne suffisent plus.»
Le Conseil national ne s’est pas dit opposé à la lutte contre le littering, mais a estimé que c’était aux cantons de légiférer. «L’USP, via les chambres d’agriculture, va désormais tout mettre en œuvre pour qu’une législation soit sur pied dans les six cantons où elle fait encore défaut», indique encore Jacques Bourgeois. L’organisation va également continuer à s’engager dans l’information et la sensibilisation. «De nombreux panneaux ont été posés dans la campagne. Nous n’avons pas de retour précis sur leur efficacité, mais nous espérons qu’ils contribuent à sensibiliser les gens, à leur faire prendre conscience que l’herbe des prés est le fourrage du bétail et que les déchets peuvent causer des problèmes de santé.»
A l’échelle suisse, l’abandon de déchets dans les lieux et transports publics coûterait 200 millions de francs par an, selon une étude menée par l’Office fédéral de l’environnement en 2011. Et le phénomène est loin de régresser. «Le problème du littering persiste et coûte, et avec lui les désagréments qu’il occasionne», constate le directeur de l’USP. «Le long des grands axes routiers, les agriculteurs remplissent des sacs entiers de détritus. Mais même en consacrant du temps à ramasser les déchets avant la fauche, il y a encore un risque. Certains en sont venus à ne plus affourager les dix premiers mètres fauchés! Il faut veiller à ce que le phénomène ne prenne pas de l’ampleur.»
ÉF, 26 août 2016
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