Les nouvelles technologies permettent un arrosage à la demande de l’arbre
Les stratégies d’irrigation, basées jusqu’à présent sur le climat et le sol, mettent désormais l’accent sur la plante. L’utilisation de biocapteurs permet de mesurer la sensibilité de la plante au manque d’eau.
«Question gestion de l’irrigation, jusqu’à maintenant on s’est attaqué au plus facile!», sourit Philippe Monney, chercheur en arboriculture fruitière à l’Agroscope de Conthey (VS), en lorgnant du côté du climat et du sol.
Question climat, force est de constater que les températures estivales ont de plus en plus pris l’ascenseur ces dernières années. La pluviométrie présente des écarts toujours plus difficiles à gérer. Une contrainte qui s’accentue: il faut économiser la houille blanche dans les plaines cultivées de Californie comme dans les alpages du Jura.
L’eau qui entre et qui sort
Le calcul classique consiste à calculer l’évapotranspiration, donnée combinée qui comprend la transpiration de la plante et l’évaporation par le sol. Pour un pommier de verger intensif classique dont la surface foliaire est de 10 m2, la consommation journalière en période estivale se situe entre 5 et 15 litres selon les conditions.
En manque d’eau, la plupart des plantes ferment leurs stomates (pores d’échanges gazeux situés dans l’épiderme inférieur du limbe) et bloquent respiration et photosynthèse. Les espèces qui peuvent maintenir leurs stomates fonctionnels continuent de transpirer pour assurer leur refroidissement au risque d’accélérer leur déshydratation en période de sécheresse.
Le sol est un milieu hétérogène
Pour le contrôle de l’humidité du sol, les tensiomètres – sonde terminée par une bougie poreuse liée à un capteur de pression – connaissent un regain d’intérêt avec le modèle Watermark. Un bémol quant à la fiabilité s’explique par le fait que les sols varient dans leur texture (teneur en argile surtout) ainsi que dans leur profondeur utile.
On considère qu’un sol moyen peut stocker en moyenne 1 millimètre d’eau facilement utilisable par les plantes par centimètre de profondeur. Pour un sol superficiel, la réserve est suffisante pour tenir huit jours en cas de forte chaleur et le double pour un sol profond.
La plante et ses souffrances
«Ici, les choses se compliquent à cause des paramètres multiples et divers», explique Philippe Monney au chevet d’un pommier, vingtième d’une ligne d’un verger à Grens/Nyon (VD). A ses pieds, une bombonne de gaz sert à mettre un maximum de pression au limbe d’une feuille enfermée dans un boîtier hermétique, dont seul le pétiole dépasse, de telle sorte qu’on puisse voir sourdre une gouttelette, indication du niveau de pression recherché. A sa droite, un appareil aux fils terminés par des biocapteurs pincés aux rameaux, mesure la pression en méga-pascals. Avec la pluie de ce mercredi de fin juillet, l’intérêt du test est décevant. «On a 4,5 bars, donc zéro stress, ce qui donne peu d’intérêt à l’étude comportementale de l’arbre.» Dès 7 à 8 bars, la plante peut fournir des indications utiles sur son potentiel hydrique, voire sa vulnérabilité hydraulique, pour ne pas dire sa souffrance. A partir de 11-12 bars, le stress hydrique se manifeste, le flux de sève étant significativement ralenti, et l’embolie menace de bloquer l’avancée de sève dans la tuyauterie du bois. «Un impact mesurable sur le calibre des fruits a été observé en Valais à partir de 12 bars et, sur les arbres non irrigués, les valeurs atteignaient plus de 15 bars durant plusieurs semaines avec pour conséquence une perte économique importante», précise le chercheur.
La tendance est actuellement au développement de technologies capables de mesurer le stress en continu, ceci à l’aide d’appareils connectés. L’arboriculteur pourra ainsi interroger ses arbres à distance et appliquer un arrosage pour ainsi dire à la demande.
Bernard Messerli, le 6 août 2021
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UNE START-UP À L'AFFÛT DES SIGNAUX
Traverser les locaux de la start-up Vivent, situé à l’étage du bâtiment de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN) à Gland (VD), donne à respirer l’ambiance quasi mystique d’une religion tournée vers «l’électrophysiologie».
«Nous sommes orientés plantes», explique Marina Martin Currant, directrice en sustainability (durabilité, dans le sens de l’écologie, de l’environnement) chez Vivent. On y voit bien une collection de plants de tomates dans une enceinte plastique-aluminium très éclairée, plus quelques plantes en pots. Mais, les grands locaux, bien aérés et lumineux, semblent plutôt occupés par du matériel technique; des fils, capteurs et autres sondes assemblés par des doigts féminins, ainsi que des écrans. Ordinateurs et écrans mobilisent la concentration de la demi-douzaine de personnes présentes ce jour de fin de printemps.
Il faut donc admettre que nous sommes ici, non pas pour expérimenter des cultures, mais pour tester des biocapteurs électroniques et tenter d’interpréter la signification du signal fourni par la plante. Les cultures d’essais se situent dans les centres de recherches (Agroscope), les écoles (HEIG, HEIA) voire les producteurs qui testent le matériel.
«Nous avons développé des solutions de diagnostic des cultures appelées PhytlSigns qui traitent les signaux électriques des plantes pour diagnostiquer le stress des cultures avant les symptômes visuels ou pour piloter des systèmes agricoles en conditions contrôlées. Cela permet aux producteurs d’améliorer les rendements et la qualité des cultures tout en réduisant les impacts environnementaux.» La directrice précise le mot stress par la liste des menaces susceptibles d’affecter la plante cultivée: soif, carence, attaque par des maladies ou des ravageurs, froid ou chaleur excessive, vent, brûlures, cassures, etc.
Pour la curiosité, on arrose le feuillage d’une plantule de pommier en pot dont la base du tronc et une des feuilles sont agrafées à une petite sonde. Immédiatement la courbe, qui avait l’allure d’une plage de vacances, se met à imiter les Dolomites. Signification?
«On observe l’intensité du stress, la durée et la répétition de la réaction, etc. Mais l’interprétation passe par des logiciels sophistiqués sur lesquels nous travaillons, nous et un grand nombre de chercheurs», sourit Marina Martin Currant. Si les capteurs s’affichent faciles d’usage et d’entretien, performants et résistants, l’intelligence électronique qui doit digérer les données semble encore en plein turbinage. ![]()
Bernard Messerli, le 6 août 2021
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LA PLANTE ÉMET DES SONS
«Comme une musique, la plante émet des sons en continu et on tente d’attraper des notes en espérant comprendre à quoi elles riment.» Etudiant à la HES-SO, préparation d’un bachelor en science agronomique, Thomas Caloz se plaît à rappeler qu’il y plus de deux siècles que l’on sait que les plantes émettent des signaux électriques répondant à des processus métaboliques. Son travail de licence devrait confirmer l’intérêt de faire passer cette connaissance électrophysiologique dans la pratique.
Potentiel démonstratif
Ses cours à Lullier terminés, l’étudiant participe au développement de projets chez Vivent, histoire de dégrossir les potentialités du thème et circonscrire son sujet. Dans un verger à Grens/Nyon (VD), certains pommiers (Gala en fuseau arqué) sont équipés de biocapteurs. «Pour avoir une différence de potentiel, il faut deux points.» Le premier, indique Thomas Caloz, c’est l’électrode de lecture placé sur le jeune rameau. Le second, le référentiel, est arrimé sur la base du tronc. Une chiquenaude sur une feuille et la courbe, toute plate, se met à faire des soubresauts. «Ce qui nous intéresse, c’est la cinquième dimension!» L’étudiant range sous ce vocable les observations de type qualitatif: propriétés, aptitudes, capacités, valeurs relatives à la santé, la résilience, le rendement, bref le fonctionnement de l’arbre.

Cinquième, après les trois références spatiales et les coordonnées temporelles. A propos de ces dernières, le choix s’opère entre millisecondes, secondes, minutes, jours… Avec une récolte d’information qui oscille autour des 256 informations à la seconde. Diverses courbes colorées démontrant la façon de vivre de certains arbres-test du verger ces dix derniers jours laissent leur lot d’intrigues. On voit notamment d’étonnantes reprises d’activité nocturne du pommier. On observe aussi de fortes réactions chroniques pendant une semaine, puis un calme olympien. S’agissait-il d’une phase d’éclaircissage des fruitiers?
Outre le terrain et le laboratoire (soins aux plantes), Thomas Caloz passe la moitié de son temps à la récolte de données et tire tableaux et graphiques pour les transmettre à des analystes. Les débats qui s’ensuivent stimulent son pétillement de curiosité en la matière et confirme son bon choix.
Bernard Messerli, le 6 aôut 2021
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